Hunger Games: les jeux de la faim [Projet d'écriture commun]

Lorsqu’il se réveilla, le premier réflexe de Maïko fut d’aller voir Ao. En le voyant approcher de la cage, le geai moqueur poussa un cri joyeux. Le garçon sourit.

— Bonjour, répondit-il.

Il ouvrit la cage et tendit la main. L’animal posa délicatement une première patte dans sa paume, puis l’autre et remonta le long de son bras jusque sur son épaule, les ailes déployées pour se donner de l’équilibre. Maïko se dirigea vers la minuscule table basse située près de son lit, tira un tiroir et en sortit un petit sac en tissu. Il le renversa au-dessus de sa main. Trois baies en sortirent et il leva le bras à hauteur de l’animal. Ao se pencha et tendit le cou puis se mit à picorer les fruits avec appétit.

La porte de la maison s’ouvrit alors et le visage de Maïko s’assombrit lorsqu’il vit sa mère entrer, une bouteille de lait à moitié remplie à la main. Elle la posa sur la seule table de la pièce avec brutalité et lança un regard sévère à son fils.

— Qu’est-ce que tu fais encore là ? lança-t-elle. Tu devrais déjà être au marché.
— J’allais y aller, répondit lentement Maïko en baissant le bras.

Ao poussa un cri de frustration lorsque les baies disparurent de sa portée. La mère lança un regard noir en direction de l’oiseau.

— Eh bien dépêche-toi, dit-elle. Ou c’est ta bestiole qui sera servie au petit-déjeuner.

Maïko déglutit. Il mit les baies dans la poche de son pantalon, enfila ses chaussures trouées le plus vite possible, attrapa sa veste grise et son sac et se dirigea vers la porte. En passant devant sa mère, Ao lâcha un cri perçant dans sa direction. Elle jura et poussa Maïko du plat de la main hors de la maison et claqua la porte derrière lui.

Maïko soupira et ressortit les baies. Le geai moqueur se remit à manger tandis que son maître se dirigeait d’un pas traînant vers la route menant au marché. Il avait trois pièces dans sa poche. Assez pour acheter une grappe de raisin. Ce ne serait pas suffisant pour nourrir trois ventres. Sa mère le savait bien. Cet argent n’était qu’une excuse, un leurre.

Lorsqu’il arriva au marché, il y avait déjà beaucoup de monde. L’allée était petite, mais toujours bondée. Ce qui avantageait Maïko. Il fit de son mieux pour afficher un air innocent. Cette manœuvre fonctionnait mieux lorsqu’il était plus jeune, mais dorénavant, il s’apercevait du regard suspicieux de certains commerçants. Il n’était certainement pas le seul enfant du district à faire ça. Il n’avait pas été le premier et il ne serait pas le dernier.

Il marcha tranquillement jusqu’au stand de fruits de Mme Dukens. Il fit mine de réfléchir à ce qu’il allait prendre, sous l’œil prudent de la vendeuse. Finalement, il sortit ses trois pièces et arrêta son regard sur les grappes de raisin. Il les pointa du doigt.

— J’en voudrais une grappe s’il vous plait, dit-il le plus poliment du monde.

Tandis que la femme se penchait par-dessus l’étalage pour attraper la plus petite des grappes possibles, Maïko se colla un peu plus contre celui-ci. Du bout des doigts, il fit rouler une pomme qu’il attrapa de son autre main avant de la glisser dans son grand sac en tissu. Il l’avait façonné lui-même pour plus de praticité.

L’opération n’avait duré que deux secondes. La vendeuse se redressa et lui donna la grappe. Il lui donna l’argent, lui souhaita de passer une bonne journée et continua son chemin. A son oreille, Ao poussa un cri sur un ton qui semblait réprobateur.

— Je sais, murmura Maïko. Je sais.

Enfoncé dans la foule de gens, il était maintenant invisible. Tandis qu’il passait près d’un vieil homme, il tendit le bras et s’empara du morceau de pain qui dépassait de la poche de sa veste. Il en coupa un bout, rangea la plus grosse part dans son sac et donna quelques miettes à Ao qui les accepta avec gratitude. Il aimait cet animal. Il essayait de le nourrir le plus souvent possible mais la plupart du temps, l’oiseau devait trouver sa propre nourriture.

Devant lui, il aperçut un enfant un peu plus jeune que lui bousculer une vieille femme. Les quelques fruits qu’elle tenait dans un sac se déversèrent sur le sol. Maïko observa le garçon se répandre en excuses et se pencher pour l’aider à ramasser ses victuailles… et s’empara d’une pêche. La femme ne s’aperçut de rien. Elle accepta les pommes qu’il lui tendit, les remit dans son sac et continua son chemin en marmonnant quelques mots coléreux.

Maïko croisa le regard du garçon. Un éclair de compréhension passa entre les deux enfants puis il se détourna et disparut bien vite dans la foule. Maïko poursuivit son chemin. Il passa devant un étalage de viande et, tandis que la marchande qui le tenait était occupée à faire payer un client, il s’empara de deux petits morceaux d’écureuil et longea rapidement l’allée pour s’éloigner.

Mais alors qu’il dépassait la dernière table d’étalage, une main lui agrippa fermement le bras et le tira en arrière. Déséquilibré, Ao s’envola de son épaule et alla se poser sur une caisse plus loin. Maïko se retrouva devant le visage sévère de la marchande qui lui tordait le bras. Terrifié, il tenta de se débattre mais la femme le tenait d’une poigne de fer.

— Calme-toi donc un peu, grogna-t-elle en le secouant.

Maïko arrêta de gesticuler mais la femme ne le lâcha pas. En la regardant, il se rappela d’une altercation qui avait eu lieu entre elle et sa mère, quelques mois plus tôt. Depuis ce jour, les deux femmes se fusillaient du regard chaque fois qu’elles se croisaient en ville.

— Ce n’est pas la première fois que tu me voles, hein ? fit la marchande en le rapprochant d’elle. Tu es doué.
— S’il vous plait, gémit Maïko, n’appelez pas les Pacificateurs !

Il imaginait déjà les hommes sortir leurs fouets devant lui, un sourire sadique sur le visage. Il en mourrait, il en était certain. Il avait déjà vu une petite fille de dix ans faire les frais de son délit. Sa petite sœur. Tout le monde avait été forcé de regarder la scène sur la grande place du marché. L’image de son corps lacéré n’avait jamais quitté son esprit.

— Je vous en prie, continua-t-il en sentant malgré lui les larmes lui monter aux yeux, je vais tout vous rembourser, je vous le jure !

La marchande éclata de rire.

— Ca m’étonnerait.

Elle le tira d’un coup sec derrière le comptoir. Elle le traina plus loin, puis s’arrêta devant une pile de gros morceaux de biche séchés. Elle poussa Maïko sur un tabouret et, sous ses yeux ébahis, coupa un morceau pour le lui donner.

— Mange, ordonna-t-elle.
— Quoi ? couina le garçon, ébahi.
— Allez ! le pressa-t-elle en lâchant la nourriture sur ses genoux.

Interdit, Maïko porta la viande à sa bouche, puis suspendit son geste. Et si c’était un piège ? Non, il ne pouvait pas être accusé d’avoir volé cette viande-là. La marchande lui avait volontairement mis le morceau de biche entre les mains au su et à la vue de tous. Elle le lui avait délibérément offert. Son ventre se mit à gronder bruyamment lorsqu’il inspira l’odeur alléchante de la viande et il mordit timidement dedans. Pourquoi était-elle aussi généreuse ?

— Profite-en, dit la marchande comme si elle avait lu dans ses pensées. Tu en as bien besoin, aujourd’hui.

Maïko releva la tête vers elle. Les traits de son visage s’étaient légèrement adoucis.

— Parce qu’aujourd’hui, c’est la moisson, dit-elle.


Lorsque Maïko rentra chez lui, il avait une boule dans le ventre. Il n’avait pas osé continuer à « faire ses courses » après avoir quitté la marchande de viande. Ao avait retrouvé sa place sur son épaule et il mordillait de temps à autre l’oreille du garçon, comme s’il sentait que quelque chose n’allait pas et essayait de lui redonner du baume au cœur.

Comme d’habitude, sa mère se mit à compter les objets de sa récolte lorsqu’il retourna ses poches sur la table et comme d’habitude, elle le traita de bon à rien pour ne pas en avoir ramené assez. En observant le visage émacié et ridé de sa mère, Maïko ressentit une satisfaction sadique en repensant à la viande qu’il avait mangée à peine quelques minutes plus tôt. Bientôt, son père arriva. Sans dire bonjour à son fils, il lui balança un sac en tissu dans les bras. Maïko l’attrapa maladroitement.

— Tes affaires pour la moisson, expliqua-t-il avant de se mettre à table.

Ils mangèrent leur maigre repas et Maïko eut bien évidemment la plus petite part, mais il s’en fichait. Il n’avait pas faim. Puis ce fut l’heure. Après s’être préparés, Maïko et ses parents quittèrent leur maison délabrée pour s’enfoncer parmi le flot des autres habitants qui convergeaient vers l’Hôtel de Justice.

Lorsqu’ils arrivèrent, ses parents ne se donnèrent pas la peine de l’embrasser et partirent directement rejoindre les autres adultes qui attendaient le début de la cérémonie. Il alla se présenter devant le contrôleur d’identité et partit rejoindre les autres enfants. Comme chaque année, plusieurs d’entre eux pleuraient déjà. Les plus jeunes, surtout. Maïko ne pleurait jamais. Il se posta entre deux garçons aux cheveux soigneusement coiffés en arrière comme les siens. Qu’est-ce qu’il pouvait haïr cette coiffure.

Il n’écouta pas la moitié de ce que put dire le Président. Il regarda la candidate féminine, Amya Carlton, s’avancer d’un pas mal assuré sous les applaudissements forcés de la population. Ao se mit à picorer ses cheveux, comme si lui non plus n’appréciait pas cette coiffure hideuse. Avec un sourire, il se mit à caresser son compagnon.

Lorsque son nom fut appelé, il était encore occupé à lisser les plumes de son animal. Toutes les têtes se tournèrent progressivement vers lui. Le sourire de Maïko mourut lentement sur son visage, et dans le silence qui régna pendant quelques secondes, Ao poussa un long cri qui résonna à travers toute la place de l’Hôtel de Justice.

C’était comme une lamentation mêlée à un hurlement de douleur.