C'est Ramon qui a envoyé le premier coup. Je le sais car Ned a trébuché sur moi. Néanmoins, les deux garçons ne m'ont prêté aucune intention. Ils doivent me croire morte, ou bientôt morte, ce que je suis, en vérité. Lorsque nous ne sommes plus capable de bouger, plus capable de remuer le moindre muscle, lorsqu'on est obligé de se forcer à prendre des respirations, et que chacune semble nous arracher les poumons et la gorge, est-ce qu'à ce moment, on peut se dire qu'on est train de mourir ?
Pourtant, j'ai l'impression que je peux bouger, j'ai l'impression que mes bras se tendent au gré de mes envie, que je saute sur mes jambes pour me redresser. En fait, je ne sais pas. Je suis comme dans une bulle, je me vois, étendue par terre, les yeux grands ouverts, mais je suis prisonnière de ce corps. Car je sais que je ne suis pas morte. Enfin, je pense. Comment le savoir ? Comment être sur ? Est-ce que la douleur disparaît réellement, entre le passage des deux mondes ?
Des cris me tirent de mon questionnement, et mon attention se porte sur le combat décisif. Et les deux se battent, à force égal, mais chacun à sa façon. Ramon attaque comme une brute, sans aucune stratégie, dans l'unique but de foncer dans le tas et de faire le plus mal possible tandis que Ned semblent voler autour de lui, esquivant chacun de ses assauts, et frappant des points plus ou moins réfléchis. Malgré cela, chacun encaisse la douleur que l'autre lui inflige, car lorsqu'ils parviennent à se toucher, le bruit du choc semble raisonner dans toute l'Arène. Ned maîtrise peut-être mieux son adversaire dont le nez paraît avoir éclaté.
Ramon se montre soudainement plus intelligent que l'autre tribut, et avec une parfaite combinaison de coups, il fait s'écrouler Ned en arrière, assez pour que sa tête tape le sol dans un bruit sourd. Il lâche un grognement, et se redresse sur un coude. Ramon éclate de rire, savourant d'avance sa victoire. Il se laisse tomber sur son ennemi, lui attrapant les poignets et les remontant au-dessus de la tête de Ned, comme pour bien montrer qu'il ne peut plus rien faire, qu'il est sa marionnette. Puis, avec un seul bras, il le plaque au sol en appuyant contre sa trachée. Il sort de sa poche un objet fin, surmonté par un manche rouge arrondi, un objet qui ressemble à sans méprendre à un simple tournevis.
Bien sur ! Comment aurait-il pu créer des pièges aussi perfectionnés sans outil ? Même si il n'a peut-être eu que celui-ci, les possibilités d'utilisation sont tellement nombreuses qu'il a pu survivre seul très facilement.
D'un geste brute, il plante son arme. Ned a juste le temps de se décaler pour éviter que son cœur ne soit touché, mais pas assez rapidement pour être épargné. Le tournevis se loge dans son épaule, jusqu'au manche. Le cri de douleur qu'il pousse aurait suffit à tuer un homme tant il est déchirant. Ramon ne lui laisse néanmoins pas de répit. Il l'attrape par son col et le fait se redresser, prêt à le frapper de nouveau, mais est contré par Ned, qui lui assène un coup de boule d'une rare intensité. Le métisse est projeté sur le dos, et l'agresseur retombe sur les coudes, le tournevis toujours enfoncé dans sa chair. Je souligne son intelligence, car le retirer aurait pu lui causer de plus grandes douleurs.
Il a dû mal calculer son attaque, car il se tient maintenant le front en grimaçant. J'aurai pu en rire, dans d'autres circonstances. Mais il reprend ses esprits. Pas aussi vite que Ramon. Il le frappe de son poing au visage, juste au-dessous de l'oeil, et une giclée de sang éclabousse le métisse.
S'ensuit de nouvelles attaques, de nouveaux coups, tous plus violents les uns que les autres, des dents sautent, du sang coulent, les cris fusent. À eux deux, ils créent plus d'horreurs et de violences qu'avec tout les autres tributs réunis.
Ned est couché sur le ventre, en appuie sur ses coudes, rampant pour gagner un peu d'espace. Une longue traîné rouge s'étale derrière lui. Ramon le suit de près, à quatre pattes, pas dans un meilleur état que lui. Il attrape le pied du Carrière et le tire faiblement vers lui. Puis il le fait basculer sur le dos, et lui saisit la gorge de ses deux mains, prêt à en finir une bonne fois pour toute. Du peu de force qu'il lui reste, il gonfle ses muscles. Le visage de Ned passe de blanc à bleu. Tout Panem doit retenir son souffle en attendant le dernier soupir du jeune garçon.
Mais il brandit le tournevis, et avant que Ramon ne réalise, il se retrouve couché, l'outil enfoncé dans sa trachée.
Ned se traîne vers lui et l'observe alors. Ses yeux clairs grands ouverts, il contemple la mort emporter petit à petit son adversaire. Aucune peur, aucune colère ni tristesse dans son regard. Seulement de la curiosité. Tandis que Ramon s'étrangle avec son propre sang, inspirant pitié et douleur, Ned ne réagit pas. Il tient son visage à quelques centimètre de celui du métisse, détaillant consciencieusement chaque tremblements, chaque soubresauts, chaque hoquets de son adversaire, comme fasciné. Un filet rouge s'échappe de ses lèvres, ses pupilles se dilatent subitement. Et Ramon cesse de lutter.
Un coup de canon fait tressaillir Ned. Il se laisse retomber sur le côté, prêt à être récupéré par l'hovercraft de la victoire. Qui n'arrive pas. Après quelques minutes, il relève la tête, regarde un peu autour de lui, hébété, puis pose son regard sur moi. Il retire doucement le tournevis du cou de Ramon et se remet à ramper vers moi, poussant de légers gémissements à chaque mouvements. Du sang sombre dégouline de sa bouche, en masse. Avec un peu de chance, il va mourir avant de m'atteindre.
Mais non. Il touche finalement mon corps. Et je le sens à peine. À vrai dire, je ne sens plus rien. Je pensais être déjà morte. Le carrière me caresse la joue, me tâchant de son sang -ou de celui de Ramon- au passage. Je plonge mon regard dans le sien, puisque de toute manière, je ne peux plus faire que ça. Ned se penche alors sur moi et il me chuchote, de tel sorte qu'il n'y a que moi qui puisse l'entendre :
- Je suis désolé.
Il brandit son arme d'un geste vif, et puis, plus rien.
« Mesdames et Messieurs, je vous présente le vainqueur des cinquante-troisième Hunger Games, Ned Arrich ! »
L'hovercraft se matérialise au-dessus des trois corps. Deux rayons remontent Ramon et Shell et les font se rejoindre à l'entrée de la machine. Ned est étendu, comme mort. Le troisième rayon l'emporte dans les airs, le jeune garçon ne réagit même pas. Les Pacificateurs le font passer par une autre ouverture, et aussitôt à l'intérieur, les premiers soins lui sont apportés.
Ned Arrich a gagné, mais à quel prix ? Devoir vivre avec les fantômes des jeux, tués de ses propres mains, devoir affronter chaque jour, chaque nuit les souvenirs qui veulent dire que jamais il n'oubliera, ne plus vivre qu'avec ces hantises, c'est ça, la victoire ?
Maintenant, Ned va devoir, en plus de subir les cauchemars, préparer d'autres enfants à vivre cet enfer. Il va devoir affronter le rôle de mentor.