Le lendemain matin je me réveille avec la boule au ventre. Ce soir nous serons au Capitole. Je secoue doucement mon frère pour le réveiller.
_Bon il paraît qu’il faut vous préparer pour ce soir… attaque Johanna alors que nous avons à peine mis un pied dans le wagon restaurant.
_Vous voulez dire pour la parade ? Mais on n’a rien à faire ! Objecté-je encore à moitié réveillée.
Mon frère étouffe un bayement avant de se ruer sur la confiture. Il en a toujours raffolé, c’est pourquoi les rares fois où nous avions un pot je le lui réservais. Et puis visiblement il a l’air de vouloir noyer son désespoir dans la nourriture. Franchement il y a pire.
_Tu vas aller loin si tu commences comme ça ! réplique Johanna avant de descendre sa tasse de café d’un coup.
_Doucement Johanna, l’apaise Kyle d’un ton complaisant. Mais elle a raison, ajoute-t-il à mon adresse. C’est dès ce soir que vous allez choisir l’attitude à adopter. Quel visage voulez-vous montrer au Capitole ?
A vrai dire je n’ai pas réfléchi à la question, cela me semblait futile… jusqu’à que je me rappelle que c’est grâce au Capitole qu’on peut avoir des sponsors et que c’est grâce aux sponsors qu’on peut survivre… Génial.
_Vous nous conseillez quoi ? Je demande aux deux mentors ne sachant que répondre.
Kyle coule un regard à Johanna pour qu’elle réponde.
_Et bien ton frère c’est simple, il peut jouer la carte du garçon attendrissant mais alors toi… la grande sœur éplorée ? Propose-t-elle.
Mouais… pour mon frère pourquoi pas… Mais en ce qui me concerne, je ne suis pas convaincue. Je fais la moue.
_Ou sinon tu peux garder le regard de chien battu que tu as en ce moment même, me nargue-t-elle.
Aussitôt je la foudroie du regard. Et je remarque qu’elle a plutôt l’air satisfaite d’elle-même.
_Ce regard ferait fuir la moitié des tributs, malheureusement il risquerait aussi de faire fuir tes potentiels sponsors, me prévient-elle.
_Et quoi alors ? Je m’emporte soudain.
_Heureusement qu’on n’en est pas à l’interview, marmonne Kyle dans sa barbe.
Mon frère laisse échapper un rire nerveux. Là ils ne m’aident pas.
_Je ne veux pas jouer la fille désespérée pour son frère, ça fait trop faible. Et quand à la fille froide apparemment ça ne va pas non plus… Enfin quoi ? Je n’aurais même pas besoin de parler, ça ne peut pas être si compliqué que cela ! M’énervé-je toute seule.
_Fais gaffe, ton attitude aura aussi un impact sur ton frère, me répond Johanna.
A ce moment-là Aaron entre dans le wagon.
_Vous êtes tous merveilleux ce matin ! S’exclame-t-il d’un ton guilleret.
Je lève les yeux au ciel, exaspérée par son attitude…
_Ça ! S’écrie alors Johanna en nous faisons tous sursauter.
_Pardon ma chère ? fait notre hôte un brin refroidi.
_Ce regard est parfait, me dit alors l’ancienne gagnante en ignorant superbement Aaron.
_Hein… de quoi ? Vous m’avez perdue là…
_Oui, ton frère joue le petit garçon attendrissant, et toi pour contrebalancer ça, tu nous joue la fille ennuyée. Explique-t-elle en souriant fière d’elle visiblement.
Kyle la regarde en haussant les sourcils.
_Vous voulez que je… que je fasse celle qui s’ennuie ? Vous voulez dire qui s’ennuie comme quand on n’a rien à faire ? Je l’interroge perplexe.
_Exactement, c’est que tu as des neurones en fin de compte ! Ricane-t-elle.
_Et vous croyez qu’avec ça je vais donner une bonne impression ? Je la questionne.
_J’y compte bien ! Beaucoup de Carrières ont cette attitude, me fait-elle remarquer comme si c’était la chose la plus évidente du monde.
_Mais… je ne suis pas une Carrière ! Contesté-je aussitôt.
Cette idée est ridicule !
_Ça je l’avais remarqué… Tu es trop innocente pour ça ! Mais enfin, là n’est pas la question. Tu veux jouer la protectrice avec ton frère ? Soit. Mais encore faut-il que tu sois convaincante ! En jouant la carte de l’ennui, tu montres que tu n’as pas peur, que tu es redoutable. M’explique Johanna avec un calme soudain désarmant.
Et je me mets à dos tous les Carrières… Et en plus je doute d’être « redoutable ». Super plan.
_Elle a raison, intervint alors mon frère qui a saisi mes doutes.
Kyle hoche vigoureusement la tête. Johanna pose une main sur l’épaule de mon frère. C’est la première fois que je la vois faire preuve de la moindre marque d’affection. Que ça soit envers mon frère m’émeut d’avantage.
_Les enfants sont la voix de la raison. Déclare-t-elle en me fixant droit dans les yeux. Elle attend ma réaction.
_Ok, je veux bien vous faire confiance, après tout vous êtes encore en vie… je capitule.
Et puis en réfléchissant bien, son idée n’est peut-être pas si nulle que ça…
Nous passons la journée à parler de survie. Et je commence à mieux cerner l’attitude Johanna. Elle me pose des questions et je lui réponds, mais mes réponses ne semblent jamais lui convenir. Il fait froid ? J’allume un feu. Super idée pour se faire repérer ! Bon et bien je ne fais rien alors… Bah crève de froid si ça te fais plaisir ma chère ! Je suis exaspérée par son attitude. Sauf qu’au bout d’un moment je comprends. C’est la dure réalité, chacun de mes choix aura des conséquences potentiellement mortelles. Et Johanna veut me le prouver. Elle veut me pousser dans mes derniers retranchements. Elle me prépare à endurer la peur et le doute psychologiquement. Je ne peux pas dire que ça me fasse plaisir. Mais au final c’est utile. Quant à Kyle, il discute avec mon frère mais en les écoutants d’une oreille distraite je capte surtout que ce n’est pas des Jeux qu’ils parlent… Kyle lui change les idées tandis que Johanna me fournit un entraînement psychologique en mode accéléré.
Nous arrivons au Capitole plus vite que prévu. Beaucoup plus vite que ce que j’avais espéré… Arrivé à la gare je commence sérieusement à tétaniser. La place est noire de monde. Enfin noire… je devrais plutôt dire bariolée. Les habitants du Capitole ont vraiment des goûts très bizarres… A l’instar d’Aaron ils portent tous des tenues plus colorées, et plus excentriques les unes que les autres. Franchement je ne les comprends pas... Quand on a un estomac à remplir les vêtements passent en second lieu, voire en troisième. Et puis de toute façon qui est-ce que cela intéresse la façon dont on s’habille ? Je trouve ça futile… Lorsqu’on descend escortés par une horde Pacificateurs, les cris m’inondent de toute part. J’ai envie de me boucher les oreilles mais je fais comme si de rien n’était. Mon frère me sert la main. On monte dans une voiture qui nous conduit jusqu’à l’endroit où l’on va passer entre les mains de nos stylistes. Je sais qu’on va être séparé mon frère et moi.
_Ça va aller Denys, je lui dis avant de le quitter. Il hoche la tête même s’il n’en est pas convaincu.
Quelques minutes plus tard je me retrouve entre les mains de mes préparateurs. Ils ne m’ont pas dit un seul mot. En revanche ils ne cessent de pépier entre eux. Il me casse les oreilles ! Heureusement le calvaire est bientôt fini. Je me retrouve alors seule dans une pièce immaculée en sous-vêtements, avec seulement un peignoir pour me couvrir. Ce n’est pas que je suis pudique maladive mais quand même, me dévoiler ainsi devant un parfait inconnu n’est pas une chose que je ferais avec joie… La porte s’ouvre alors. Et mon, enfin plutôt ma styliste entre alors. Elle est très grande, mais d’une finesse qui fait peur. Pourtant au Capitole ils ne manquent pas de nourriture que je sache. Cette impression de maigreur est renforcée par son visage complètement blanc. On dirait qu’elle n’a jamais vu le soleil de sa vie ! En plus de cela, ses cheveux sont blonds platines coupés dans un carré très court. Elle est habillé tout en noir dans un tailleur très simple pour le Capitole. Mais morbide… Et la touche de couleur ce sont ses lèvres rouges sang. C’est affreux ! Mon dieu, c’est ça qui va me relooker ?
_Bonjour ma chère Annabelle, tu es charmante ! me lance-t-elle alors. Je ne sais plus si je dois rire… Elle a une voix enfantine qui ne colle pas du tout avec son style. Et elle a l’air vraiment sincère… Dans quoi est-ce que je me suis embarquée ?
_Heu… merci, alors… c’est vous ma styliste ? J’hésite. On sait jamais, il reste peut-être encore un espoir…
_En effet je m’appelle Karel Tallovi, et je peux te dire une chose ; ton costume tu vas l’A-DO-RER ! S’exclame-t-elle toute joyeuse.
_Vraiment ? Je fais mine de m’intéresser. J’espère qu’elle n’a pas senti l’ironie de ma question… Et je prie pour que mon frère soit mieux tombé que moi.
_Bien entendu ! Tu sais que j’adore la nature ? Alors le District 7 me convient très bien ! C’est ma troisième année en tant que styliste. M’explique-t-elle.
J’essaie de me rappeler si les tenues des Districts précédents étaient portables… Et je me demande ce qu’elle veut dire quand elle prétend aimer la nature… Elle parle des fleurs qu’on met sur les pierres tombales ?
Elle continue à me parler, à vanter mes mesures, la couleur de mes cheveux en particulier, mais je l’écoute d’une oreille distraite. En temps normal j’aurais rougi devant tous ses compliments mais la situation présente fait que je n’y suis pas du tout sensible. C’est alors qu’elle présente ma tenue. Et alors je suis surprise. Elle n’a pas l’air si horrible que cela tout compte fait… C’est une robe de couleur… indéfinissable. Il faut que je l’enfile pour savoir vraiment quoi en penser. Elle est lourde à porter tout de même. Karel me maquille, et j’ai bien peur qu’elle n’en fasse beaucoup trop. Elle coiffe mes cheveux dans ce qui a l’air d’être un chignon.
_Admire le résultat s’exclame-t-elle alors au bout d’un temps qui m’a paru très long.
Elle retourne un grand miroir qui est incrusté dans le mur et je m’approche. Je reste sans voix. Je ne me reconnais plus. Et je dois admettre que ma styliste a finalement plus de goût pour habiller les autres, que pour s’habiller elle-même. Je porte une robe longue à bustier. Si la couleur est indéfinissable, c’est parce qu’elle est aux couleurs chatoyante de l’automne. L’automne, c’est exactement le but recherché. En fait en y regardant de plus près je m’aperçois que c’est un patchwork de bouts de tissus en forme de feuilles d’arbres. Les couleurs ocres, orange, marrons et d’autres dont je ne connais même pas le nom se mélangent. Si la robe est lourde c’est parce que le bas est fait de froufrous feuilles mortes. Le tout s’accorde parfaitement avec ma chevelure auburn. Celle-ci a été artistiquement coiffée. J’ai juste quelques mèches de cheveux parfaitement bouclées (pour une fois) qui sont laissées en liberté. Dans mon chignon sont piquées deux baguettes sculptées pour ressembler à deux petites branchettes. La seule chose à laquelle je ne suis pas certaines d’adhérer complètement c’est mon maquillage. Karel a creusé mes pommettes ce qui me donne un air hautain, presque dur que je ne me connais pas. Pour mes yeux l’intérieur de mes paupières sont désormais dorées tandis que les bordures sont marrons foncées. Au liner, Karel pris le soin méticuleux de dessiner des petites feuilles. C’est à mon sens la touche de trop. Mais mes yeux noisettes verts ressortent tout de même bien je dois l’avouer. Tout compte fait je suis plutôt bien servie.
_C’est joli. Je dis à ma styliste, me sentant obligée de dire quelque chose.
A son impression légèrement déçue je comprends qu’elle attendait plus que cela mais je ne suis pas d’humeur…
_Et bien dans ce cas-là tu vas pouvoir rejoindre ton frère et voir le résultat ! S’exclame-t-elle sans se laisser démonter.
C’est ce qui se passe à peine quelques minutes plus tard. Je me retrouve dans une salle aux dimensions immenses. Il y a les chevaux et les chariots. Ça y est, cette fois j’y suis vraiment. En un sens les Hunger Games ont déjà commencé… Je suis soudain paralysée par la peur.
_Tu es belle ! s’exclame alors une voix timide derrière moi.
Je sursaute violemment et me retourne.
_Quoi ? Je fais brusquement.
En face de moi se tient une fille à peine plus jeune que moi. Mais mon ton semble l’avoir effrayé… Elle recule d’un pas et baisse les yeux. Je remarque alors sa tenue. Une jolie robe charbonneuse, dont le bas à l’air de fumer véritablement. Je reconnais directement la marque du styliste du 12. Avec la tenue qu’il a faite à Katniss Everdeen il est le seul dont les tenues sont restées dans ma mémoire.
_Oh, heu… excuse moi je ne t’avais pas vu arriver, je me reprends maladroitement.
Elle relève les yeux et esquisse un léger sourire que j’ai à peine le temps de voir. C’est alors que je remarque ses boucles d’oreilles. On dirait… deux geais moqueurs. Je ne comprends pas… C’était le symbole de Katniss, pourquoi cette fille en porte des semblables ? Parce qu’elle est du 12 ? Sans doute… Enfin je n’en vois pas l’intérêt parce que si je n’étais pas aussi près d’elle je ne les aurais sans doute pas remarqués… Je suis quand même troublée. Il y a eu des rumeurs bizarres l’année dernière avec cette histoire de geai moqueur… Je me rends compte à son air légèrement effrayé que je la dévisage trop. Je détourne aussitôt la tête. De toute façon cela vaut mieux… Je ne suis pas sûre de vouloir me faire des amis en ce moment. Des amis qui pourraient mourir dans quatre jours. Au pire des amis qui pourraient me planter à proprement parlé un couteau dans le dos. Je vois alors mon frère au milieu des autres tributs. J’ai failli le louper tellement il est changé. Mais bon avec une chevelure comme la sienne il est impossible de le louper. Justement sa chevelure… est fraîchement coupée. Il me rejoint avec un air bougon et s’insurge aussitôt.
_Non mais pour qui ils se prennent, ils n’avaient pas le droit de toucher à mes cheveux ! Râle-t-il.
_Chut ! Je m’exclame sèchement. Même pour une histoire de cheveux je n’ai pas envie de l’entendre proférer des insultes envers le Capitole. C’est trop risqué. Heureusement Denys se tait aussitôt. J’en profite pour l’examiner de plus prés. Il est dans un costume de la même couleur chatoyante que ma robe. Visiblement si son styliste a coupé ses cheveux, il a quand même pris soin de les ébouriffés artistiquement. On dirait un petit lutin. Pour l’innocence c’est tout gagné.
_Ta styliste est douée ! Elle a réussi à te rendre sortable ! Raille alors mon frère avec un éclat de rire juvénile.
_Très drôle, je réponds en riant tout de même, contente de le voir de bonne humeur.
Des têtes se tournent vers nous et nous calmons aussitôt. La fille du 12 qui est désormais avec son grand frère nous dévisage prudemment. Dès qu’elle croise mon regard, elle détourne le sien. J’en suis sûre que c’est à cause de mes pommettes… Elles me donnent une allure dure. D’ailleurs ça me fait brusquement penser que je dois paraître ennuyée pour la parade. L’hymne de Panem retentit soudainement et tout le monde se tait. Les deux du District 1 sont déjà partis. On s’installe les uns après les autres dans notre attelage. Quand arrive mon tour je donne la main à mon frère et me forge un air un neutre. Devant nous l’attelage du 6 s’avance. Puis les deux chevaux bais qui tirent le chariot se mettent à trottiner à leur tour.
~
Je pose mon verre de Scotch sur la table qui se trouve juste à côté des deux portes battantes et redresse les épaules. Deux Pacificateurs les ouvrent pour moi. Je m’avance fièrement, le visage impénétrable. Les Juges sont tous à leurs postes. Partout les sons électroniques m’abasourdissent. Ces bruits j’ai grandi avec, cette salle n’a aucun secret pour moi, j’y travaille depuis mes vingt ans. Mais cette fois-ci c’est différent. Les Hunger Games commencent officieusement. Officiellement pour moi. Et en me postant à ma place attitrée je me rappelle soudain de l’an dernier. C’était Seneca Crane qui se tenait là. Il avait l’air si fier de lui. Et puis les choses avaient commencé à dégénérer avec la fille du 12… Katniss Everdeen. Et aujourd’hui Seneca n’est plus là. Et j’ai eu la confirmation hier soir de ce que je redoutais. Pendant un instant je croise le regard de Plutarch Heavensbee. C’est l’un des Juges les plus âgés, et c’était aussi le grand favori au poste de Haut-Juge. Au lieu de ça, c’est moi que le Président Snow a choisi de nommer. Je ne sais toujours pas pourquoi. Par contre je sais pourquoi ce n’est pas Plutarch qui n’a pas été choisi, même si je ne suis pas sûr qu’on m’ait tout dit… Plutarch me salue comme il salue tout le monde. Il sait. Et je suis soudain intimement persuadé qu’il y est dans quelque chose dans ma nomination. Je sais que le Président Snow lui fait confiance. Enfin… s’il fait confiance à qui que ce soit. Je me secoue mentalement pour me reprendre.
_Nous sommes prêts monsieur, me lance Lucia.
_Très bien, à mon décompte lancez les chariots. Et je démarre le compte à rebours.
Puis le premier chariot, celui du District 1 apparaît sur tous les écrans. Et je m’égare dans mes pensées, ce que je ne devrais pas faire. Mais la visite d’hier soir continue de me perturber. Pourquoi cet homme a-t-il choisi de me faire confiance ? C’est un pari risqué. Même plus que risqué. Mais surtout la question qui me taraude c’est pourquoi ai-je choisi de lui faire confiance ? Pourquoi m’allier avec lui ? Pourquoi, moi Lokern, qui a tout ce qu’un homme rêve dans sa vie, j’ai décidé de prendre part sans la moindre hésitation à la Rébellion qui est en train de se former dans le plus grand secret ? Je sais Même si je changeais d’avis à l’instant même il est trop tard. C’est officiel je suis un traître.