Nagendra Primys, 16 ans, district Un
Depuis que je suis levée, je ne pense qu'à une chose : la Moisson. D'habitude, je ne suis pas inquiète pour un sou, mais aujourd'hui c'est complétement différent. Je ne suis pas inquiète pour moi, mais pour Isidore. Il est mon meilleur ami depuis si longtemps que je ne me souviens plus vraiment de notre rencontre. Il me semble que c'était lors de notre premier jour passé au Centre d'entraînement. Mes parents et les siens sont très amis, étant donné que ma mère est la gagnante des cinquante-sixièmes Jeux et que son père a remporté les cinquante-quatrièmes.
Cette année, il a atteint ses dix-huit ans. Et je ne veux pas qu'il participe, car à cause de la Rebellion, non seulement nous allons être vingt-six, mais en plus, je suis sûre que pour se venger, le Capitole va créer des Jeux encore plus durs que les autres !
J'ai peur pour lui. Je ne veux pas qu'il meurt.
Tout en réfléchissant à la façon dont je peux le dissuader de participer, je me prépare pour sortir.
J'attache mes cheveux noirs en une queue de cheval, mets un débardeur bleu marine et un pantalon souple marron. Une fois encore, je soupire en voyant leur taille. Ces vêtements sont beaucouptrop petits et fins à mon goût. Comme moi, en fait. Malgré mes seize ans, je mesure à peine un mètre cinquante...
Et je finis par mettre mes « gants de protection ». En cuir, ils sont troués pour laisser passer chaque doigts et servent à compenser mon point faible : mes poignets. J'ai eu un accident d'escalade il y a six ans.
Le mur sur lequel je grimpais s'était effondré, puis, plus rien. Quand je suis revenue à moi, j'étais dans ma chambre, et un médecin m'a annoncé que j'aurais une faiblesse aux poignets pour toute ma vie sans la technologie du Capitole. Mes parents ont beau être riches, il était impossible de me soigner. Je suis donc restée comme ça.
Quelques jours plus tard, mon père, le Directeur du Centre d'entraînement, s'est rendu compte que le mur avait été abîmé volontairement, mais personne n'a su qui était le responsable. Sauf le coupable bien entendu.
Une fois prête, je prends donc ma veste et sors. Les rues sont déjà bondées alors que la Moisson n'est que dans deux heures, et j'ai un mal fou à rejoindre le Centre, qui n'est pourtant qu'à quelques centaines de mètres du Village des vainqueurs.
Dès que j'entre, j'aperçois Isidore en train de transpercer les mannequins à l'aide de lances. Il n'a pas vraiment l'air anxieux. A vrai dire, il n'est même jamais anxieux.
« Salut Nag', quoi de beau aujourd'hui ? me lance-t-il sans se retourner»
Il a reconnu mes pas je suppose. Je m'assoie sur un banc en soupirant.
« Je ne sais pas si tu appelles ça beau, mais la Moisson est dans deux heures et...
-Je suis au courant. Et tu sais aussi bien que moi qui sera le tribut masculin cette année, me coupe-t-il en venant s'asseoir à mes côtés.
-Tu ne peux pas... Vous serez vingt-six... Je tiens à toi et je veux que tu reste en vie... je commence, très inquiète.
-Tu sais bien que je n'ai pas le choix. J'ai eu dix-huit ans il y a six mois, murmure t-il, toujours aussi calme.
-Bien sûr que si tu as le choix ! Tu n'as pas besoin de gagner les Jeux ! Tu es intelligent, beau, fort, gentil...
-Intelligent ? Moi ? Pourtant, hier encore, tu me traitait d'idiot ! rétorque-t-il en se retenant de rire.
-Je suis sérieuse Isidore. Promets-moi de ne pas te porter volontaire, je t'en supplie...
-Ce serait te mentir, Nag'. Ecoute, c'est pas deux malheureux tributs non-entraînés qui vont me dissuader de participer, déclare mon ami.
-Il n'y a pas que ça. Nous sortons d'une Rebellion, je lui rappelle.
-Je sais, et alors ? Notre district n'y pas énormément pris part, ceux qui doivent s'inquiéter, ce sont plutôt les futurs tributs du Treize ! rétorque-t-il du tac-au-tac.»
Il n'a pas tort. Mais je sais comment le dissuader de participer.
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J'attends, et je m'ennuie dans la « file d'attente ». Une fillette de douze ans pleure car elle ne veut pas qu'on prélève son sang. J'espère que je n'aurais pas à affronter des jeunes comme ça, les Jeux perdraient de la crédibilité sinon. Oui, je compte participer cette année. Je n'ai pas encore dix-huit ans, mais j'espère que ça suffira à dissuader Isidore de se porter volontaire.
Pour passer le temps, j'observe les gens aux alentours. Il n'y a personne que je connais, j'ai fait exprès de venir le plus tard possible, pour ne croiser aucune connaissance. Je crois que j'ai réussi.
Une fois que je suis enfin passée, j'arrive à rejoindre le groupe des filles de seize ans qui s'attroupe autour de moi. Exactement ce que je voulais éviter :
« Alors Nag', qu'est ce que tu ressens ? Tu tiens le coup ? Isidore va pas trop te manquer dans les Jeux ? T'inquiète pas, il va revenir ! Et toi, tu comptes toujours participer aux Jeux ? Et tes poignets, ils ne te font pas trop mal ? piaillent toutes les filles en même temps.»
Et ça continue ainsi jusqu'à que notre hôte arrive. En fait, non. Elles continuent toujours, de sorte que je n'entends absolument rien, ne voit rien, jusqu'à l'appel des noms. Pour de bon cette fois. Cette année, aucune fille n'avait prévu de se porter volontaire, le silence est donc pesant. L'hôte pioche un papier, s'apprête à le lire, mais je sors de ma section, et dit bien fort pour que tout le monde entende :
« Inutile de lire ce nom, je suis volontaire. » Je monte sur l'estrade, les gens que j'observe sont estomaqués. En fait, j'observe surtout les filles de ma section, et Isidore. Il ouvre grand les yeux, je crois avoir réussi mon coup. L'hôte reprend la parole :
« Oh, une volontaire ! Comment t'appelles-tu ?
-Nagendra Primyss.
-D'accord ! Ton nom me dit quelque chose... »
Il semble réfléchir un instant, puis continue
-Bien, passons au tirage des garçons ! » s'exclame celui-ci, toujours aussi joyeux, sans raison valable.
Je prie pour qu'Isidore ne se porte pas volontaire, que je ne connaisse pas le tribut masculin de mon district. L'hôte plonge sa main dans l'urne en forme de sphère, en sort un papier :
-Et le courageux jeune garçon qui va affronter l'arène est Clive Ardric ! »
Je ne le connais pas. J'attends quelques secondes en retenant mon souffle et en priant du plus fort que je peux pour qu'Isidore ne se porte pas volontaire. Je me m'autorise un soupire de soulagement lorsque j'entends une voix que je reconnaîtrais entre mille:
« Isidore Delran. Volontaire pour les soixante-seizièmes Hunger Games.»
Isidore. Il monte sur l'estrade lentement, et lorsqu'il y arrive, il me lance un regard qui veut tout dire, mais que je suis la seule à percevoir.
Notre hôte, fidèle à lui-même, lance une énième réflexion complétement stupide :
« Merveilleux ! Deux volontaires dans ce district ! Félicitez-les comme il se doit !
-Pas étonnant, on est un district de carrière, vous voyez des volontaires chaque année, ne soyez pas si émerveillé... je rétorque, très énervée. »
Je n'ai pas pu m'empêcher de répondre. Et lorsque je lève les yeux au ciel. J'entends le district applaudir et s'esclaffer. Même Isidore sourit. Qu'y a-t-il de si drôle ?
Je hausse les épaules. De toute façon, j'ai autre chose à penser. Je vais être dans les Jeux avec pour partenaire de district mon meilleur ami !
En tout cas, notre hôte ne sait plus quoi dire. Il cherche ses mots :
« Euh, c'est vrai... vous n'avez pas tout à fait tort... bref... serrez-vous la main maintenant. »
Une fois cela fait, on nous conduit dans des salles différentes. J'ai dit aux Pacificateurs de laisser passer tout le monde, et je le regrette à présent. Beaucoup trop de visites à mon goût. Certaines filles viennent me voir juste parce que je suis amie avec Isidore Delran, le fameux beau garçon. Et les garçons... je pense qu'ils viennent me voir parce que je suis plutôt jolie. Quoi qu'il en soit, je fais comme d'habitude, j'essaie de paraître intéressée à ce qu'ils me disent. Pas difficile, il suffit de lancer des « Ah... » et des « Oh... » à tout bout de champ. Et puis viennent mes parents :
« Mais qu'est-ce que tu as fait ? Pourquoi à seize ans et pas dix-huit ? Et avec Isidore en plus ! Tu savais qu'il allait se porter volontaire, non ? Qu'est-ce qui t'as pris ? s'écrient-ils à l'unisson.
-Ne vous inquiétez pas. Je peux gagner, j'ai autant de force maintenant que dans deux ans. Isidore ne va pas remporter les Jeux, mais il ne mourra pas à cause de moi, j'explique calmement.»
Il fallait que je leur dise ce qu'ils voulaient entendre.
« Je vous aime. Vous m'avez toujours soutenu...
-Et nous te soutiendrons toujours, me répondent-ils. »
J'ai de la chance d'avoir des parents comme eux. Ma mère me donne quelques conseils de stratégie, tandis que mon père m'explique comment m'améliorer dans toutes sortes de disciplines, puis les Pacificateurs les font sortir. J'espère les revoir vite.
Très vite.